Voiture autonome : la (fausse) question pour savoir qui doit mourir

Pourquoi sacrifier le passager n'a pas de sens

Depuis l'avènement des premiers véhicules réellement autonomes, de nombreuses personnes se posent la question afin de savoir si en cas de choc inévitable il faut sacrifier le passager du véhicule ou le piéton.

Le débat fait rage, tant du côté des utilisateurs, des non utilisateurs, des législateurs et des fabriquants.

Et plus les questionnements sont nombreux, plus la question semble complexe et la réponse très compliquée à mettre en place.

Compliquée ! Vraiment ?

La problématique du choc inévitable

Les voitures autonomes sont bardées de capteurs qui peuvent surveiller en permanence – sans jamais se lasser – le périmètre complet du véhicule, jusqu'à plusieurs dizaines de mètres à la ronde. Autant dire que leur acuité dépasse de loin celle des humains.

Le choc inévitable restera donc assez rare dans l'ensemble, et s'il l'était, l'humain n'aurait pas fait mieux. Cependant, la machine étant généralement conçue pour être meilleure que l'homme, l'erreur ne lui est pas permise et l'on est toujours plus exigent avec la machine qu'on ne le serait avec un humain. Errare humanum est.

Le choc inévitable sera donc probablement plus rare et/ou moins grave qu'avec un humain mais reste toutefois une question centrale du simple fait de l'intolérance de l'échec de la machine face à la vie réelle.

La position relative

Lorsque l'on pose la question aux personnes concernées, leur avis varie en fonction de leur position. Il faut protéger le piéton si elles sont les piétons, et le passager si elles sont le passager.

Cet avis, bien qu'amusant, ne fait pas avancer le débat. Pire, certains vont même jusqu'à imaginer que le piéton pourrait être sacrifié s'il s'agisait d'un voleur en train de fuir la police, ou un pédophile notoire. J'imagine effectivement bien toutes le voitures autonomes connectées à la radio de la police et se précipitant sur le voleur afin de l'écraser et de rendre ainsi une justice simple, efficace,… sans l'intermédiaire d'un juge et sans la possibilité d'un jugement équitable.

La protection du piéton

Imaginons que nous protégions le piéton en priorité car il s'agit du plus vulnérable. Ça pourrait être un enfant en train de jouer qui court derrière son ballon et traverse la rue, une vieille dame, une mère avec sa poussette…

Cette position, bien que sensée au premier abord, peut être dangereuse.

Que se passerait-il avec un car rempli de bambins effectuant une sortie avec leur enseignant ?

Et si un individu mal intentionné pourrait en profitait pour bondir brusquement sur la route afin de provoquer des accidents, sachant que le véhicule autonome préfèrera sacrifier la vie des passagers plutôt que la sienne. Un terroriste n'aurait même plus besoin de voler un camion et de foncer dans la foule, il lui suffirait de passer à pied sur une autoroute d'attendre. Une seule personne suffirait à provoquer plusieurs accidents. Il lui suffirait de recommencer régulièrement, à différents endroits…

J'imagine déjà le beau carnage.

La protection des plus nombreux

Imaginons que nous protégions le plus nombreux. Si le nombre de passagers est inférieur au nombre de piétons, alors les passagers sont sacrifiés. Sinon ce sont les piétons.

La première question qui se pose : en cas d'égalité, qui perd ?

Et comment s'assurer qu'un piéton n'en cache pas un autre ?

De plus, une fois encore, difficile à mettre en œuvre sans imaginer que le terroriste précédent vienne avec des copains. Il lui suffirait de 4 ou 5 amis pour toujours gagner face à une voiture.

Pour contre-balancer le résultat, il faudrait alors faire en sorte que les véhicules autonomes communiquent entre eux afin de signaler combien de personnes ont déjà été sacrifiées, les additionner et une fois le nombre de personnes équivalent atteint, appliquer la protection des passagers. Si cette méthode coopérative rend les voitures autonomes plus efficaces – pour peu que les constructeurs jouent le jeu –, elle ne doit pas servir simplement à déterminer qui doit vivre et qui doit mourir. Une méthode encore plus injuste pour celui qui aura la malchance d'être parmi les premiers.

Et une méthode qui n'empêchera rien puisqu'il suffirait à nos terroristes de rester moins longtemps et de changer de lieu plus souvent.

Conclusion

Une règle simple : toujours protéger le passager

La protection du passager est la règle la plus simple et la plus juste à mettre en place, toute autre solution apportant son lot d'injustices – dans les pires des cas – ou de vides juridiques – dans les meilleurs des cas.

De plus, il est difficilement concevable qu'un fabriquant de voiture autonome puisse justifier autre chose que la protection de ses propres usagers. Question d'image. La sécurité des passagers avant toute chose. C'est la tendance générale depuis quel'automobile existe.

Et il est aussi peu probable que les usagers acceptent de conduire un véhicule autonome si les règles de survie sont trop complexes ou s'ils seront sacrifiés en définitive.

Nous devrons apprendre à vivre avec la même injustice qu'auparavant : si un véhicule heurte un piéton, il y a de fortes chances que le piéton soit un peu plus abîmé que le véhicule.

Les parents devront continuer à enseigner à leurs enfants qu'il ne faut pas traverser la rue sans regarder à droite et à gauche, et de préférence aux endroits prévus lorsque le petit bonhomme est vert.

Et si malencontreusement, malgré tous les capteurs, toutes les attentions, tous les efforts et toutes les technologies mises en jeu la collision restait inévitable, ce serait très probablement parce que le piéton n'avait rien à faire à cet endroit-là et à ce moment-là… et qu'il n'y aurait aucune bonne raison pour qu'un passager en paie le prix.

La protection du passager ou du piéton est une fausse problématique.

La vraie problématique

En attendant, pourtant, le débat continue de faire rage. Et tant qu'une des deux parties n'aura pas gagné, l'usage des voitures autonomes sera toujours repoussé un peu plus.

Pourtant, malgré leurs imperfections actuelles – sachant qu'elles sont corrigées au fur et à mesure –, les voitures autonomes sont plus performantes que les humains. Repousser leur usage ne fait que se priver d'un outil incroyablement efficace qui pourrait éviter un grand nombre d'accidents. En les utilisant, nous pourrions économiser des vies.

Il est donc grand temps d'agir. Car chaque jour de plus qui passe augmente le nombre de décès aussi idiots qu'inutiles.

Et des essais actuels sur un territoire idéal

À ce débat doit s'ajouter le biais des premiers essais concluants : ils sont majoritairement réalisés aux États-Unis d'Amérique.

Ce pays a l'avantage d'être jeune, grand et peu dense. Si bien que la mise en place d'une infrastructure de transports en commun est souvent prohibitif, au bénéfice de l'automobile.

La faible densité de population a permis de construire une infrastucture libre, laissant la voie royale aux automobiles.

Les voitures autonomes disposent donc d'un environnemet idéal pour une mise en place aisée et un apprentissage rapide. Dans beaucoup d'États, la voiture autonome est déjà une réalité.

Or, le Vieux Continent doit composer avec une infrastructure beaucoup plus ancienne, et des densités de population plus importantes, sur des territoires inégaux. Les piéges sont donc plus nombreux. Même si la voiture autonome restera toujours supérieure à l'humain en terme d'acuité et de performances, il y a fort à parier que les problématiques ne seront pas les mêmes et que les systèmes autonomes américains ne seront pas immédiatement transposables. Il faudra un temps supplémentaire pour valider les méthodes, donc autant de temps nécessaire et de retard à la fois sur la concurrence que sur la mise en place pour sauver des vies. Il faudrait donc compenser par une volonté politique extrêmement forte car c'est elle qui a actuellement la mainmise sur les autorisations et les infrastructures.